Le rap français est-il anti-sampling ?

 

Les premières utilisations du sampling remonteraient aux années 1940-1950 et pourtant, les auditeurs peuvent se demander pourquoi le rap français semble à la traîne sur les Américains avec cette technique, et si c’est le cas, ont-ils raison ?

Lorsqu’on cherche un point commun entre La Fouine et Jay Z, on peut facilement se dire qu’ils sont tous les deux nés au mois de décembre, mais également qu’ils ont utilisé le même sample, à savoir « A Garden Of Peace » de Lonnie Liston Smith, et qu’ils en ont chacun fait un hit. D’un côté, « Dead President » de Jay-Z et de l’autre, la chanson que toutes les collégiennes connaissaient sur le bout des doigts en 2007, « Tombé pour elle » de La Fouine et Amel Bent. Le sampling est directement tiré de l’anglais et signifie « échantillonnage ». C’est une technique largement utilisée dans la musique car on peut extraire presque tout ce qui est susceptible d’inspirer afin de composer un titre : une mélodie, un dialogue, des paroles, un passage d’interview comme le fait Ninho dans « Jefe » ou bien même un poème comme dans « Blame Game » de Kanye West. Plongés dans la nostalgie, tous les auditeurs aiment chercher d’où vient ce fameux passage qu’ils ont déjà entendu quelque part.

 
 

Les Français un peu timides

La France aime le sample, il n’y a aucun doute, tout s’échantillonne, même des comptines d’enfants comme l’a prouvé Jul avec « Pic et pic alcool et drame ». Son utilisation sur les hits français des dernières années semble très souvent destinée à l’amusement comme « Ne Reviens Pas » de Gradur et Heuss L’enfoiré, emprunt de la chanson « Blue Da Ba Dee » de Eiffel 65, elle-même utilisée en 2009 par Flo-Rida dans le tube « Sugar ». Un autre exemple avec « Petrouchka » de Soso Maness et PLK qui devient le single d’or le plus rapide de 2021 en étant certifié en seulement treize jours, à nouveau un sample du chant russe « Kalinka » composé par Ivan Larionov. Un troisième exemple existe avec Moha-K et Marwa Loud qui s’emparent du hit « Milkshake » de Kelis pour faire le featuring « Bimbo ». Le sample pour l’amusement est une valeur presque certaine car la puissance d’un bon hit ne s’arrête pas et ne reste pas figée dans le temps. Par ailleurs, d’autres artistes français en font une utilisation davantage mélancolique et « sérieuse » en s’attaquant à des chansons qui nous ont marquées durant la jeunesse. À la même image que Dinos et Damso sur « Du mal à te dire » qui s’inspirent de Pearl et son tube, « J’ai des choses à te dire » sorti en 2004, Kaza fait un clin d’œil à Jena Lee dans « J’aimerais tellement » et Remy s’occupe d’emprunter « Le Bilan » des Neg’Marrons. Penser que la chanson française n’est pas assez riche pour trouver des inspirations paraît alors largement fausse. La preuve en est qu’un des plus gros morceaux du rap US de tous les temps qui est un sample de Charles Aznavour, à savoir « What’s The Difference » de Dr Dre, Eminem et Xzibit. Et pour aller encore plus loin, la chaîne Youtube « Le Règlement » publie en janvier 2019 une vidéo regroupant 45 samples dans le rap français. Néanmoins, la majorité des morceaux du Top 10 Spotify de l’année 2021 ne sont pas samplés, à l’exception de « Petrouchka ». Les auditeurs ont streamé « Le Temps » de Tayc, « La Kiffance » de Naps et « TDB » d’Oboy. Alors, il serait intéressant aussi de se pencher sur le fonctionnement des droits d'auteurs en France et sur la clearance du sample en général pour savoir si les compositeurs rencontrent des difficultés si l'envie leur vient de sampler un morceau. Aussi, après avoir pris connaissance de ce classement annuel, est-ce vraiment nécessaire d’utiliser le sampling si de toute façon on sait faire des tubes qui fonctionnent sans ? Les français ont peut-être trouvé le juste milieu plutôt que de rester enfermés dans une nostalgie musicale dans laquelle les américains tombent facilement.

 
 

Les Américains l’aiment à la folie

Un des exemples les plus frappants pourrait bien sûr être la « Chixtape 5 » de Tory Lanez datant de novembre 2019, elle nous renvoie aux années d’or du R&B et utilise carrément une photo d’Ashanti en cover pour rester dans le thème. T-Pain, Snoop Dogg, Mario, The-Dream, Lil Wayne ou encore Chris Brown, tous les interprètes des classiques du début des années 2000 participent au projet aux côtés de Tory. Quelques mois plus tard, en juillet 2020, le premier projet posthume de Pop Smoke, « Shoot For The Stars, Aim For The Moon », voit le jour sous l’œil avisé de 50 Cent. Le succès de « Dior » et la tragédie de la disparition du rappeur new-yorkais placent l’album comme un des plus attendus de l’année. Le sampling est utilisé sur presque tous les singles à succès avec Ginuwine « Differences » pour le titre « What You Know About Love », ensuite « Candy Shop » de 50 Cent dans le morceau « The Woo » et « Into  You » de Fabolous sur « Something Special » pour ne citer qu’eux. Le succès est tel que le projet est même certifié disque de platine en France, une reconnaissance plutôt rare pour les rappeurs américains sur le sol français, prouvant ainsi l’efficacité du sampling mais surtout qu’un hit datant de vingt ans peut donner naissance à d’autres hits. Cette recette de grand-mère de la musique s’illustre notamment avec Bobby Glenn et sa chanson d’amour « Sounds Like a Love Song » qui voit le jour en 1976. Elle donne naissance à « Song Cry » de Jay-Z, puis c’est au tour de Keyshia Cole pour « You’ve Changed », ensuite « When To Say When » de Drake et il y a seulement quelques semaines, un nouveau morceau intitulé « Hate Our Love » de Queen Naija et Big Sean fait son entrée dans nos playlists. La vraie question pourrait être alors, est-ce que les compositeurs américains n’utiliseraient pas cette technique à outrance ? Ou bien, est-ce alors nous, auditeurs, qu’il faudrait blâmer car nous sommes nostalgiques d’une période qui nous manque ?

 
 

Pour les auditeurs de musique qui sont friands de découvertes, le site whosampled devient une encyclopédie et ils verront la technique du sample comme un moyen d’élargir leur culture musicale. Beaucoup de jeunes adolescents qui s’adonnent à des chorégraphies sur Tiktok avec Pop Smoke ont peut-être découvert l’existence de Ginuwine, tout comme ceux qui ont sauté sur « Petrouchka » en soirée ont tapé le nom d’Ivan Larionov sur Google. Comme indiqué précédemment, tout peut s’échantillonner, les français peuvent en apparence en avoir une utilisation plus minime mais tout amoureux de la musique qui se respecte sait apprécier un son à sa juste valeur. Alors, grâce au sample, toutes les générations portent l’héritage de la musique, la transmettront et seront fières d’ici vingt ans de dire aux plus jeunes : « T’as la ref ? »